Les psaumes, un itinéraire de prière
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A la suite de Jésus, les apôtres puis les premières communautés chrétiennes et l'Eglise de tous les siècles ont adopté ce livre de prières issu du judaïsme : les psaumes sont devenus le cœur de la prière chrétienne et restent l'essentiel de la prière des heures (le bréviaire, prière quotidienne des ministres ordonnés, des religieux et religieuses. Au cours des âges, ils ont aussi inspiré toute la prière des chrétiens : bien des cantiques actuels tirent leurs paroles des Psaumes. Ils sont la vie devenue prière ; ils sont l'humanité, avec ses joies et ses souffrances, ses bonheurs et ses angoisses, ses révoltes et ses espoirs, "terre à terre, pétris de chair et de sang, miroirs de nos révoltes et de nos fidélités" (Etienne Charpentier, Cahier Evangile n°13, 1991). Toute l'épaisseur de notre réalité humaine y est présente malgré la distance qui nous sépare des psaumes dans le temps : reflets de la dure réalité de l'existence humaine, mais également témoignages rendus à la fidélité de Dieu.
Que ces prières se trouvent dans la bible leur donne un relief supplémentaire : paroles d'hommes portées par le souffle de Dieu, elles nous sont offertes par lui pour nourrir notre prière, communautaire et personnelle, tant il est vrai que les préoccupations des priants d'autrefois ne diffèrent pas tellement de celles d'aujourd'hui. Certains se méfient de la prière préfabriquée, préparée à l'avance, comme si elle manquait nécessairement d'authenticité, comme si lire ou réciter, c'était prier avec les lèvres mais pas avec le cœur. Cette recherche de spontanéité, d'une priève accrochée à la vie nous honore, mais elle est parfois présomptueuse. Nous connaissons tous des moments de sécheresse, de doute ou de pauvreté, où malgré l'assistance indispensable du Saint-Esprit, nos pensées s'enlisent, s'embourbent, pour s'échouer sur des rivages de la déception... Une aide peut se révéler précieuse et quelle prière est plus accrochée à la vie que celle des psaumes ?
Notre vie suit souvent le même chemin que celui des psalmistes et c'est un itinéraire de prière, initiation ou redécouverte :
  • Nous avons facilement tendance à prier quand ça ne va pas : nous observons la souffrance, maladie, pauvreté ou chômage, deuils, guerre ou famines, chez nous ou chez d'autres, proches ou lointains. Ces situations nous révoltent mais nous n'osons pas toujours : est-ce respecter Dieu que de lui demander "qu'est-ce que tu fabriques ?" ou "j'en ai ras le bol !" Nous avons bien tort d'hésiter : prier, c'est entrer avec Dieu dans une vraie relation, où nous acceptons d'être pleinement nous-mêmes, avec nos limites, nos fragilités, nos incompréhensions, nos lâchetés, nos refus... pour permettre à Dieu d'être pleinement lui-même pour nous : amour infini. Et c'est dans cette relation qu'est le point de départ de la conversion. Observons le psaume dont Jésus dit la première phrase sur la croix :
    "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" (Ps 22-21)
    C'est un cri de détresse mais plus encore de révolte, très dur vis-à-vis de Dieu : "tu m'as abandonné" ; ce n'est pas "je me sens abandonné", c'est l'affirmation que Dieu lui-même est infidèle à sa promesse. Pire, le psalmiste demande "pourquoi" : il met Dieu en accusation, il lui demande des comptes sur sa conduite. C'est un hurlement (la suite du psaume dit "je rugis") : un homme qui souffre hurle sa révolte et accuse Dieu. Quelle prétention ! Et pourtant, il renouvelle sa confiance, malgré les vagues du malheur qui continuent de déferler, et le psaume débouche sur une lumineuse espérance : "tu m'as entendu". La souffrance est toujours là, mais le psalmiste s'est converti et il a pris conscience que Dieu n'est pas un magicien qui nous délivrerait du malheur mais un père qui aime et qui partage notre souffrance.
  • Cette découverte d'un Dieu proche peut nous amener à un retour sur nous-mêmes, qui nous remet à la fois en face de notre fragilité et de l'amour de Dieu. Reconnaître notre péché n'est pas nous humilier, c'est appeler Dieu au secours : nous avons besoin de lui. Le psaume 130-129 est bien connu :
    "Des profondeurs, je crie vers toi...
    Dieu pardonne sans que nous lui demandions quoi que ce soit, mais son pardon n'est efficace que si nous créons en nous le terrain favorable pour le recevoir, pour qu'il transforme notre vie. Dans ce psaume, l'appel au secours né de la prise de conscience de la faiblesse ouvre sur l'espérance.
  • Nous sentir pardonnés, aimés d'un amour fou, nous introduit à la reconnaissance et à l'action de grâce. Nous mesurons l'abîme d'où nous sortons, nous n'avons plus pour Dieu qu'un merci éperdu :
    "Je t'exalte, Seigneur, toi qui m'as relevé..." (Ps 30-29)
    "Bénis le Seigneur, mon âme, n'oublie aucun de ses bienfaits, lui qui pardonne toutes tes offenses, qui te guérit de toute maladie, qui rachète à la fosse ta vie, qui te couronne d'amour et de tendresse, qui rassasie de biens tes années, et comme l'aigle se renouvelle ta jeunesse" (Ps 103-102)
    Evidemment la reconnaissance est plus facile si nous sommes sortis de la situation de détresse qui nous accablait, mais ce n'est même pas nécessaire pour laisser la louange déborder du cœur.
  • Nous abordons alors la situation de la louange gratuite : Dieu est si grand et pourtant il est tout près de nous :
    Seigneur, notre Dieu, qu'il est grand ton nom par toute la terre!
    Nous entrons dans le monde des hymnes, où la joie et l'admiration nous mènent aux portes de l'adoration.
  • Entrés dans la conscience de la proximité de Dieu, nous pouvons apaiser notre prière pour lui dire notre confiance sereine et pour y conduire les autres.
Certes, ce parcours est un peu théorique... Dans la vie de chacun, il peut y avoir des rechutes, des hésitations, des obstacles. Il faut parfois repartir à zéro. Mais nous pouvons prendre conscience que nous ne sommes seuls ni dans la détresse ni dans le bonheur : des hommes et des femmes ont connu des situations analogues à la nôtre ; prier un psaume, c'est entrer dans cette solidarité avec les priants de tous les temps. Les Psaumes peuvent aider à prier alors que nous sommes en panne, de nous permettre de verbaliser ce que nous ressens au fond de nous mais que nous n'arrivons pas à exprimer. Nous entrons ainsi dans un véritable cheminement spirituel : passer de la détresse à la confiance et à la joie.